La mujer sin cabeza

Vero, majestueusement interprétée par María Onetto avec un jeu de nuances extraordinaire, est la « femme sans tête », dans ce qui est peut-être le film le plus complexe, le plus troublant et le plus essentiel de Lucrecia Martel. Un accident de la route, apparemment sans conséquences majeures, déchaîne le comportement erratique de la protagoniste - une femme bourgeoise de Salta, une ville du nord de l'Argentine - qui ne reconnaît plus l'espace qu'elle habite ou - plutôt - ne se reconnaît plus dans cet espace où tout devient étrange : son amant, son mari, ses filles... comme si elle n'appartenait plus à ce microcosme. Parallèlement, la constatation d'un décès sur la route déclenche un réseau patriarcal de protection de classe par la dissimulation de preuves, le déni absolu de l'accident et l'invisibilisation des pauvres. Le film, dans son portrait de l'apparente banalité quotidienne de la famille de Vero, est porteur d'un profond trouble, comme si le temps dense du passé pouvait habiter le présent. Le langage cinématographique précis de Lucrecia Martel invite à une lecture politique qui expose la violence exercée en toute impunité par la bourgeoisie argentine.

Violeta Bava