En attendant les robots

Le travail humain est-il soluble dans l'essor programmé des intelligences artificielles ? Cette lancinante prophétie a été battue en brèche dans un ouvrage sociologique d'Antonio Casilli intitulé En attendant les robots (2019), dont s'est inspiré Natan Castay pour son premier film. Après avoir perdu son job d'étudiant pendant la crise sanitaire, celui-ci s'inscrit sur Amazon Mechanical Turk, un site de micro-tâches payées au lance-pierre. Au tarif de un centime l'unité, une armée mondiale de 'turkers' passe le plus clair de son temps à flouter des visages sur Google Street View ou observer des photos satellites pour identifier des piscines (!). Castay a confié à un acteur (Harpo Guit) le rôle de son double fictif, pour mener une enquête drolatique sur le 'digital labour', lors de conversations en ligne avec d'autres 'turkers', bien réels, eux·elles, tels que Phil, alcoolique repenti basé en Thaïlande, ou Eric et Cindy, une goguenarde fratrie brésilienne... Finement mises en scène, les tribulations absurdes d'Otto – Beckett n'est pas loin – montrent comment les tâcheron·ne·s du clic, dupes consentant·e·s de la farce numérique, travaillent aujourd'hui pour alimenter les machines qui les supplanteront peut-être demain. 

Emmanuel Chicon